Semblable à un gigantesque paquebot échoué sur la plaine, elle avait pourtant fière allure, cette raffinerie que l’on admirait en famille sur le trajet des vacances, elle qui nous fournissait l’essence de nos évasions, le chauffage de nos maisons. Surgissant du paysage comme une colossale cathédrale à la gloire de la modernité, du progrès, servie par ses ouvriers, qui, tels les matelots d’un grand cuirassé, percevaient le prestige de leur rôle dans le regard des autres… eux qui domptaient jour après jour la force de ce dragon colossal dont la lumière des torchères teintait la nuit couleur de feu.

Soixante ans plus tard, le monde a changé. À avoir par trop abusé du feu de la terre en brûlant l’huile de ses roches, l’humanité découvre que, de la sorte, elle pourrait bien menacer sa propre survie. Dans la raffinerie, seuls quelques employés veillent encore sur ses installations. En déambulant à l’intérieur, on découvre une véritable ville, avec ses rues et ses avenues enjambées par des ponts et bordées de blocs de constructions métalliques où s’enchevêtrent de multiples passerelles, des escaliers, des échelles, donnant accès aux niveaux supérieurs où l’on s’égare.
Partout des tuyaux, dans un dédale que seuls les initiés peuvent comprendre. Au centre, émergent de gigantesques cheminées, comparables à quelques minarets, donjons ou autres campaniles d’une cité oubliée. Désert et silencieux, le lieu se transforme progressivement sous notre regard pour apparaître comme un futur vestige de notre temps... une trace de l’anthropocène.

Musique: Pierre Henry, Variations pour une porte et un soupir , Mort.